Il y a quelques années, après une partie d’Antika, mon fils de 14 ans me dit : « Pourquoi ne peut-on pas jouer des descendants de Titans ? »
N’ayant pas à l’époque d’éléments logiques me permettant d’accéder à sa demande, je lui dis que l’on joue des héros d’Olympiens et que les titans sont par essence leurs ennemis et bien souvent sont des monstres.
Mais ma réponse ne le satisfaisant pas, il commença à rédiger des règles pour créer des descendants de Titans, fichier qui malheureusement disparu avec un crash de disque dur.
Cependant, cela instilla en moi une graine qui ne demandait qu’à germer pour peu que j’y trouve une logique. C’est finalement en faisant des recherches sur les Cultes à Mystère, et en particulier sur l’Orphisme, pour l’un des suppléments sur lequel je travaillais que j’ai eu la révélation permettant cette nouvelle possibilité d’ascendance.
Cependant cette ascendance titanesque nécessite une explication métaphysique, car il ne s’agit pas d’une filiation telle que l’on peut l’imaginer.
Pour situer, l’Orphisme est un mouvement protestataire religieux méconnu (normal c’est un culte à mystères) qui apparaît au VIe siècle avant J.-C. et ayant pour origine le mythe d’Orphée pour certains, d’où le nom « orphisme », et le mythe de Dionysos pour d’autres (donc déjà, on se retrouve avec deux possibilités, ce qui n’est pas pour faciliter la compréhension).
Dans le premier cas, Orphée descend aux Enfers pour retrouver sa bien-aimée Eurydice. Mais alors qu’il obtient l’accord d’Hadès et de Perséphone pour la ramener des Enfers, il échoue en se retournant avant la sortie. Cet échec peut être considéré comme la punition d’Orphée pour avoir douté de la parole des dieux (pour faire simple), ou une simple leçon pour qu’il se tourne vers l’avenir qui peut être changé plutôt que vers le passé désormais immuable.
À l’issue de ce chemin initiatique, Orphée s’isole du monde. Il adopte une vie d’ermite en refusant l’ordre social grec et son système politico-religieux organisé autour des Olympiens. Cette remise en question constitue les fondements de l’Orphisme en tant que mouvement religieux contestataire, qui deviendra plus tard un courant de littérature philosophique et religieux. Selon la doctrine orphique, le salut de l’âme, marquée par une souillure originelle, est condamné à un cycle de réincarnation. Seul un chemin initiatique ou viatique gravé sur des lamelles d’or accompagnant le défunt dans sa sépulture, permet à l’âme de trouver son chemin dans l’Hadès, vers une vie bienheureuse.
Si Orphée ne précise pas l’origine de la souillure de l’âme humaine, il explique malgré tout son chemin initiatique. C’est ainsi que ses adeptes refusent de faire couler le sang, et deviennent végétariens et non violents, afin de ne pas souiller leur âme. Ce refus du sacrifice animal est déjà en soi un acte anti-olympien, puisque les sacrifices sont faits en l’honneur des dieux et qu’une part leur est offerte pour leurs propres banquets.
Il existe plusieurs cosmogonies orphiques : si celle d’Orphée donne le chemin initiatique sans expliquer l’origine de la souillure, ce n’est pas le cas de l’orphisme dionysiaque, qui s’inscrit dans une révolution de « la Théogonie » d’Hésiode, officiellement et religieusement reconnue, en modifiant les origines du dieu de la vigne.
Selon le mythe orphique dionysiaque, Éros offre le monde à Zagreus, première incarnation de Dionysos, fils de Zeus et de Perséphone (ce qui explique la présence d’Iacchos (Dionysos) et de Coré (Perséphone) dans les Mystères d’Éleusis). Les Titans, jaloux et furieux, s’emparent de lui en le charmant à l’aide de miroirs, le démembrent, le font bouillir et le dévorent. Horrifié par ce crime, Zeus foudroie les Titans, des cendres de qui naissent les hommes marqués ainsi d’une double ascendance.
Une partie des cendres des Titans donne ainsi naissance aux hommes ayant une propension à faire le Mal, tandis que les cendres provenant du corps de Dionysos leur donnent l’étincelle divine de l’amour et du Bien.
Perséphone, folle de rage, interdit alors que l’homme souillé par la marque des Titans puisse gagner le monde divin. Elle le condamne alors à une vie de réincarnation, concept véhiculé avec la métempsychose dans le mythe d’Er écrit par Platon dans « la République » au Livre X.
Selon les cultes orphiques, les humains sont donc nés avec la souillure des cendres des Titans, mais leur âme peut être sauvée par l’étincelle divine de Dionysos se trouvant en eux. Par conséquent, les mortels portent toujours en eux l’impureté des Titans, ce qui leur demande d’adopter un mode de vie pur pour laver cette impureté originelle et laisser transparaître leur part olympienne.
Partant de cette croyance, il est donc possible que certains personnages descendent eux-mêmes des Titans.
Dans cette nouvelle édition, nous vous offrons donc la possibilité d’incarner une descendance titanesque, afin d’enrichir votre expérience de jeu avec la présence, au sein du groupe, de personnages plus ambivalents que les descendants d’Olympiens, lesquels acceptent généralement leur héritage divin en servant leur aïeul.
Bien que les Olympiens descendent eux-mêmes des Titans, leur héritage titanesque ne s’exprime pas au-delà de leur part divine, mais il n’en est pas de même pour les descendants des Titans ou des Titanides. Sans lien direct avec les Olympiens, seule leur part titanesque s’exprime chez eux, leur donnant des motivations différentes, les amenant à faire des choix au fur et à mesure des aventures !
Certains d’entre vous descendront directement d’un Titan, d’autres seront issus de sa descendance, mais tous les Titanides sont des mortels dont la souillure originelle est plus marquée que chez les autres humains, du fait d’une forte concentration de cendres titanesques à leur conception. Cet héritage ne s’exprime alors qu’à l’adolescence au moment de la puberté et le personnage doit alors apprendre à le contrôler.
Ainsi désirent-ils se venger de Zeus pour le mal ou la trahison qu’il a perpétrée à l’encontre de leurs aïeux (emprisonnement des Titans au Tartare, condamnation de Prométhée malgré son aide…) ? Veulent-ils libérer Kronos et les Titans du Tartare pour provoquer une nouvelle ère titanesque afin de prendre la part qui leur revient ? Ou à l’image de Prométhée et d’autres, prennent-ils parti pour les Olympiens dans la guerre qui les opposent aux Titans ? Seront-ils des alliés fiables pour les personnages olympiens, ou au contraire les trahiront-ils un jour pour accomplir leur propre destin ?
J’espère que cela vous donnera l’envie de participer à l’aventure ANTIKA seconde édition !
Bruno Guérin